Venise, 3 août 2021 – Donnant sur le canal qui sépare l'île de la Giudecca de Venise, un bâtiment en particulier regarde directement vers Punta della Dogana. Connu par le terme par lequel on appelait ses hôtes, cet édifice était utilisé pour fournir assistance aux jeunes femmes vénitiennes indigentes, et donc à risque de prostitution. Nous sommes en train de parler de l'institut des "Zitelle", l'une des structures hospitalières de la Venise du seizième siècle, comprenant l'église de Santa Maria della Presentazione. La Casa delle Zitelle (terme vénitien désignant les jeunes filles) a été fondée avec la noble intention de donner une seconde chance aux pauvres et belles femmes vénitiennes qui, en raison de leur charme et de leurs ressources financières limitées, risquaient d'être victimes de la prostitution. Les zitelle qui vivaient dans le complexe de la Giudecca, construit en 1561 sur l'ordre du patriarche Giovanni Trevisan, étaient très jeunes, pauvres, belles et aspiraient à devenir des femmes nobles, but ultime qu’elles atteignaient à la fin de leur séjour dans cet établissement éducatif.
Contrairement au complexe des Penitenti de San Giobbe, qui faisait office de centre de réhabilitation pour les femmes de tous âges ayant déjà tombé dans le péché de la prostitution, pour entrer dans le complexe des Zitelle il suffisait d'être belle, pauvre et âgée de 12 à 18 ans. Ce qui faisait la différence entre les deux structures était aussi le niveau de vie au sein du complexe : dans la structure de l’île de la Giudecca il était élevé, car ici on forgeait des femmes nobles prêtes à devenir les épouses d'hommes importants ; par contre, il était plus bas dans la structure de San Giobbe, qui donnait une seconde chance aux prostituées repenties.
Agata Brusegan, conservatrice de l'IPAV (Istituzioni pubbliche di assistenza veneziane - Institutions d'assistance publique vénitiennes), commente : "Il fallait être belle pour entrer dans le complexe des Zitelle, les "laides" ne pouvaient pas entrer. Les filles étaient sélectionnées selon un statut par les gouverneurs après avoir été recommandées par les curés, qui identifiaient celles qui étaient à risque de prostitution et les sauvaient en offrant un avenir meilleur ".
Fondée en 1561 et d'une grande pompe au dix-septième siècle, le complexe des Zitelle offrait un parcours psychologique et éducatif aux très jeunes femmes vénitiennes, qui en sortaient à l'image de leurs nobles gouvernantes. Notamment, entre les premières il y a Adriana Contarini, qui a donné toute sa fortune en dot à ces jeunes femmes. Du plus bas échelon de la société, on pouvait donc s'élever, en devenant une femme avec de bonnes manières et avec la connaissance des métiers d'une parfaite femme de la noblesse prête pour le mariage, comme par exemple la dentellerie.
"C’était un endroit qui réunissait les jeunes femmes, belles et instruites", poursuit Brusegan, "c'était donc un pensionnat d'où sortaient de demoiselles qui, en revanche, étaient très mal nées".
Vivre dans cette institution impliquait l'isolement des filles, qui en 1583 a atteint le nombre de 200.en effet, elles n'étaient pas autorisées à avoir des contacts avec le monde extérieur : les seules exceptions étaient ou une excursion en bateau vers les îles vénitiennes un jour par an, ou si elles étaient sélectionnées comme potentielles épouses par des hommes importants. "Cet isolement provoquait chaque année plusieurs cas d'hystérie ou de névrose", raconte Agata Brusegan, "et la rivalité entre les jeunes filles était très forte, car elles étaient toutes adolescentes, toutes belles et toutes à la recherche du mariage parfait".
Aucune des hôtes du complexe des Zitelle n'y restait à vie, car il s'agissait d'une transition entre l’adolescence problématique et l’âge adulte vécue non plus par des jeunes femmes pauvres risquant de se prostituer, mais par des femmes nobles instruites, respectables et toujours belles.
Aujourd'hui, le complexe des Zitelle à la Giudecca est considéré comme l’un des cinq trésors cachés de Venise, avec l'Oratorio dei Crociferi, l'église des Penitenti, l’Ospedaletto et la Scala Contarini del Bovolo.
Voici l’interview vidéo avec Agata Brusegan, conservatrice de l'IPAV : https://we.tl/t-rECLYLZlQb.