La vie quotidienne dans la République Sérénissime racontée en 67 tableaux par Gabriel Bella  

21 January 2022

Il y a le vol du Turc, la Régate historique, le mariage avec la mer, le Carnaval, la fameuse chasse aux taureaux. En 67 tableaux, on retrouve toute la Sérénissime dans ses manifestations populaires, civiques et religieuses. Ce sont les tableaux du vénitien Gabriel Bella, exposés dans l'une des salles de la Fondazione Querini Stampalia : un aperçu unique et inégalé de la Venise animée du dix-huitième siècle, un documentaire vivant qui raconte avec authenticité les rites et les coutumes de toute une communauté, un aperçu de la Sérénissime République, qui fête cette année son 1600ème anniversaire.

"La famille Querini possédait une centaine de vues de la vie publique et quotidienne à Venise réalisées par Gabriel Bella, un artiste du dix-huitième siècle", explique la directrice Marigusta Lazzari, "il s'agit presque d'un reportage pictural sur Venise, avec les festivités, les activités publiques, les jeux, les régates, la présentation du nouveau Doge de la Scala dei Giganti, le théâtre Ridotto, le théâtre San Beneto, qui n'existe plus, la visite du Pape à l’église San Giovanni e Paolo, le mariage avec la mer chez la basilique Santa Maria della Salute et les chasses aux taureaux, les différentes régates dont le Redentore. Et encore : le théâtre d'art et les différentes foires, comme celle de la Sensa dans place Saint-Marc, le Jeudi Saint dans la place avec la mise en place d'une machine en bois et en stuc remplie de feux d'artifice, qui étaient allumés à la fin de la journée et interdits par la suite parce qu'ils mettaient le feu aux toits, et avec le vol du Turc portant l'hommage au Doge, qui est connu aujourd'hui comme le vol de l'Ange. Les nobles ont amené la ville dans les pièces de leurs villas à la campagne et ce sont des œuvres extraordinaires qui racontent l'histoire d'une ville au dix-huitième siècle, du point de vue de la vie quotidienne".

Au total, 100 tableaux décoraient les salles de la villa de la famille Querini à Campo di Pietra, à Trévise. 67 d'entre eux ont été sauvés et sont tous exposés dans une seule pièce de la Fondation, tandis que les 33 autres ont disparus.

Au dix-huitième siècle, Venise était la "capitale" de la vie sociale - il y avait plus de cent événements publics par an - et du Carnaval, qui commençait en octobre et se terminait en mai. Parmi les toiles les plus singulières, on doit citer "La festa del Giovedì Grasso in Piazzetta" (en français : "La fête du Jeudi Gras dans la Piazzetta"), où Castellani et Nicolotti se défient au jeu "Le Forze d'Ercole", c’est-à-dire une compétition de puissance musculaire et d'équilibre qui consiste à former une pyramide humaine. Pendant ce temps, le public assiste aussi au svolo del turco : d'un radeau dans le bassin, un acrobate, attaché à une corde, descend jusqu'au clocher de Saint-Marc, grimpe sur la flèche et exécute des exercices spectaculaires comme un véritable funambule, après quoi il descend dans la loggia du Palais des Doges pour offrir au Doge un bouquet de fleurs et un poème.  

Dans le tableau "La regata delle donne in Canal Grande" (en français : "La régate des femmes sur le Grand Canal"), on voit les femmes de Pellestrina et de Sant'Erasmo s'affronter tandis que des spectateurs imprudents, qui s'approchent du parcours de la régate, sont contraints de se retirer avec des balote, des balles en terre cuite utilisées pour la chasse dans la lagune.

Les toiles de Gabriel Bella représentent également l'aristocratie de la prostitution à Venise, des femmes élégantes et cultivées qui divertissaient les hommes dans une conversation brillante, qui accompagnaient les patriciens et les invités étrangers dans les occasions conviviales : comme par exemple les ridotti, des salles à l’intérieur des palais vénitiens exclusivement dédiées au jeu de hasard et qui étaient les seules tolérées par la Sérénissime. Dans le tableau "Il nuovo ridotto" (en français : "Le nouvel ridotto"), Bella représente le ridotto de Palazzo Dandolo après sa restauration en 1768. En 1638, Marco Dandolo a obtenu la première licence pour ouvrir une maison de jeu publique dans son palais de San Moisé et c'est ainsi que le premier casino est né. À l'intérieur, il y avait environ soixante-dix tables où l'on ne pouvait jouer qu'aux cartes et aux dés : les clients, hommes et femmes, quelle que soit leur origine sociale, devaient porter la bauta, qui comprenait le tabarro (une cape noire), un chapeau triangulaire (appelé tricorno) et la larva (un masque blanc ou noir avec un voile couvrant la tête, en forme de bec pour altérer la voix mais permettant de manger et de boire).

Puis il y a les moments institutionnels, comme "Il giro della Piazza del Doge in pozzetto" (en français : "Le tour du Doge dans place Saint-Marc"), avec le Doge porté sur les épaules de quatre-vingts arsenalotti (terme qui indique les personnes qui travaillaient dans l’Arsenal de Venise et qui constituaient la garde du corps du Doge), et "L'incoronazione del Doge sulla Scala dei Giganti" (en français : "Le couronnement du Doge à la Scala dei Giganti"), où le chef d'État de la République de Venise est couronné avec la zogia, la riche corne ducale.

Le Musée de la Fondazione Querini Stampalia restera ouvert pendant les vacances de Noël : du mardi au dimanche de 10h à 18h (fermé le lundi), avec des ouvertures spéciales les 8, 24, 25, 26 et 31 décembre et les 1, 2 et 6 janvier 2022.