Tessitura Bevilacqua : à Venise, le velours est toujours produit à la main, selon les mêmes techniques imposées par les Doges

19 January 2022

Au début, c'était le sciamito, une sorte de velours sans poils ; puis, au quatorzième siècle, quelques tisserands de Lucques ont demandé l'asile politique à Venise. De cela, est né un artisanat qui, aujourd'hui encore, exerce une énorme fascination dans le monde entier. Au seizième siècle, Venise comptait 6000 métiers à tisser produisant du velours et des milliers de personnes travaillant dans des ateliers et des maisons. Des tonnes de fils de soie et des mains expertes ont donné vie à des motifs qui sont toujours d'actualité.

Et l'histoire de la Tessitura Bevilacqua a commencé il y a plus de cinq siècles, plus au moins en 1499, lorsqu'un rouleau est apparu dans un tableau de Giovanni Mansueti, intitulé “San Marco trascinato nella Sinagoga”, contenant les noms des commanditaires de l'œuvre, dont un certain "Giacomo Bevilacqua, tisserand". Officiellement, la Tessitura Luigi Bevilacqua a été fondée en 1875 en fondamenta San Lorenzo, dans un palais qui avait été le siège de l'École de Soie de la Sérénissime, abandonné au début du siècle à la suite du décret napoléonien qui, en 1806, avait fermé toutes les corporations d'artisans de Venise. Aujourd'hui, ce de Bevilacqua est le plus ancien atelier de tissage actif d'Europe et utilise les 1700 métiers à tisser originaux de l'École de Soie, créant de précieux velours soprarizzo selon les mêmes techniques imposées par les Doges de la ville, qui célèbre le 1600ème anniversaire de sa fondation.    

"Notre point fort est que nous sommes les seuls à produire un tissu en maintenant les mêmes normes de qualité que par le passé, car nous produisons toujours le tissu original de la même manière après 130 ans", explique le directeur général Alberto Bevilacqua, "L'histoire documentée de notre famille commence avec notre arrière-grand-père, qui a officiellement fondé l'entreprise en 1875, bien qu'il y ait des traces de nos ancêtres dès la fin des années 1400. L'entreprise est passée de main en main depuis six générations, et a également été dirigée par d'autres membres de la famille Bevilacqua".  

Au début du vingtième siècle, l’atelier de tissage Bevilacqua comptait plus d'une centaine de tisseurs, aujourd'hui il y a 18 métiers à tisser et 7 tisseurs qui ont la difficile tâche de créer, avec une patience infinie, quelques centimètres par jour de velours qui orneront les maisons, les salles d'exposition et les églises mais qui seront aussi portés sur les podiums de la haute couture. 

“Dans le passé, l'un des clients les plus importants était l'Église, puis le velours a été introduit dans la mode par la designer Roberta di Camerino avec le sac Bagonghi, et récemment il y a eu un retour important dans la haute couture", poursuit Bevilacqua, "Nous collaborons avec les plus grands designers italiens et étrangers“.  

Entrer aujourd'hui dans l'usine de tissage Bevilacqua, dans le sestiere de Santa Croce, signifie faire un plongeon dans le passé parmi les ourdissoirs, les métiers à tisser en bois, les fils de soie aux couleurs vives et les archives historiques qui comptent plus de 3500 échantillons et messe in carta, c'est-à-dire les dessins techniques qui contiennent les informations nécessaires à la perforation des cartes. 

Pour produire le velours, il est nécessaire de commencer par la conception du motif à réaliser. Chaque trou correspond à un fil et chaque carte représente un demi-millimètre du dessin du tissu à réaliser.

“Dans le passé, il y avait des enfants sur les métiers à tisser qui déplaçaient les fils sur les ordres du tisserand. En 1803, le français Jacquard a inventé ces machines qui lisent des cartes perforées", explique le PDG, "Par exemple, pour un dessin d'un rapport de 1,5 mètre, il faut plus de 3 000 cartes perforées“.

Parallèlement à la création du dessin, on doit préparer le métier à tisser : ça peut prendre jusqu'à six mois de travail et le nouage à la main de 16 000 fils. Une fois que la chaîne a été chargée sur le métier, que les bobines sont en place, que les cartes perforées ont été insérées, il est temps de commencer à tisser. C'est un travail de précision et de patience, très long, qui peut prendre des années pour satisfaire un client : comme dans le cas de la restauration du Palais Royal de Dresde. "Il nous a fallu trois ans, de 2017 à 2019, et trois métiers à tisser pour réaliser 720 mètres de velours cramoisi sur un échantillon original qu'ils avaient sauvegardé", se souvient Alberto Bevilacqua, "nous l’avons refait à l'identique, avec les mêmes caractéristiques techniques".