Venise, 18 novembre 2021 - Surplombant les étroits canaux vénitiens ou donnant sur les campi de la ville, décorés de fresques par les peintres les plus célèbres de l'histoire de l'art, meublés d'antiquités et de collections d'époque qui racontent les anciennes habitudes d'un passé de splendeur, de luxe et de convivialité. La plupart des hôtels de Venise sont situés dans certains des plus beaux palais historiques de la ville et témoignent les légendes et les moments de vie d'un passé fascinant qui fait partie des 1600 ans d'histoire de la ville.
De la plus ancienne auberge de Venise à l'hôtel qui abrite des collections d'objets du monde entier, en passant par le lieu d’hébergement touristique qui permet de dormir sous un plafond décoré d'une des premières peintures de Tiepolo, le voyage à travers les hôtels de Venise est un voyage imaginaire entre passé et présent.
Alessandro Spada, créateur et fondateur de la page et du groupe Facebook Hidden Corners of Venice (qui compte près de 40 000 adeptes et s'occupe de raconter les secrets et les coins cachés de Venise à travers l'histoire), nous accompagne dans ce voyage. À ce jour, il a recueilli, étudié et raconté à son public 170 hôtels de la ville et l'histoire des palais respectifs dans lesquels ils se trouvent. Né en Suisse et passionné par Venise et son histoire, Alessandro, journaliste free-lance et guide touristique à Florence, habite à Padoue, où il passe ses journées à approfondir les différents aspects de l'histoire de Venise. Ce qui n'était qu'une passion et une idée née presque par hasard est aujourd'hui devenue une mission pour Alessandro, qui vise à créer une archive de récits de voyage et d'images, une sorte de "carte" des palais historiques vénitiens qui sont devenus des hôtels qui peut être transmise au fil du temps.
"Au début, les responsables des hôtels étaient hésitants, les portes étaient le plus souvent fermées. Puis, lorsqu'ils ont compris pourquoi je voulais collecter des anecdotes et des curiosités, j'ai pu entrer dans leurs chambres, leur faire raconter les histoires des bâtiments et interagir avec leur nouvelle vie. Ce que j'écris, c'est ce que je vois, ce que je trouve dans les livres et ce qu'ils me disent quand je me promène dans les salles des palais".
Il suffit de traverser le pont du Rialto et de s'arrêter dans la calle del Sturion, l'une des rues transversales de la riva del Vin, pour avoir l'impression d'entendre la gaieté, les rires et les joyeux bavardages des voyageurs qui, dans le passé, s'arrêtaient ici pour boire du vin avant d'aller se reposer dans les auberges. Et c'est précisément dans ce lieu que se trouve un des premiers hôtels de Venise : l'Antica locanda Sturion. Datant de 1290, ce lieu ne peut passer inaperçu en raison de son enseigne fascinante qui renvoie à l'époque des auberges d'antan.
"L'une des plus belles parties de l'auberge, outre son mobilier et l'atmosphère qui nous rappelle encore la Venise d'autrefois, est son enseigne historique", commente Alessandro Spada, "Bien qu’il s’agisse d’une reproduction réalisée par un artisan vénitien, la structure conserve encore son enseigne historique qui figure, telle que nous la voyons aujourd'hui, dans le tableau La légende de la croix de Vittore Carpaccio, conservé aux Galeries de l’Académie de Venise".
Reconstruite au dix-huitième siècle après l’incendie du pont du Rialto, cette structure comprenait autrefois la quasi-totalité du palais qui l'abritait, des rez-de-chaussée qui servaient d'étables pour les chevaux, de cavane (une sorte de dépôts pour les bateaux) et d'entrepôts, aux étages supérieurs qui abritaient les chambres pour héberger. Aujourd'hui, il ne reste que le dernier étage de l'Antica Locanda Sturion, auquel on accède par un long escalier raide qui nous transporte, comme dans une machine à voyager dans le temps, directement au cœur du treizième siècle, parmi des sols vénitiens (sols composés de la grenaille de marbre et pierres, mélangés à la chaux), des murs décorés en rouge foncé, des portes et des meubles en bois datant de plusieurs siècles et des fenêtres qui donnent sur le Grand Canal.
Notre voyage se poursuit le long de la riva degli Schiavoni, où le regard ne peut manquer de tomber sur la façade d'un palais qui affiche son nom à travers les carreaux d'une mosaïque. Et c'est ici, dans un palais du côté de la calle della Pietà et regarde directement vers l'île de San Giorgio, que nous trouvons l’Hôtel Metropole, caractérisé par une atmosphère orientale et dépositaire de précieuses collections d'antiquités qui encore aujourd'hui continuent de raconter les histoires des voyageurs de passage à Venise. Connu au dix-neuvième siècle comme Casa Kirsch, le Metropole permet de faire un voyage dans le temps vers les lieux qui ont servi de toile de fond à la vie de certains des artistes les plus importants de l'histoire : en effet, il a suscité un grand intérêt de la part de divers représentants du monde de l'art, de la musique et de la littérature, fascinés par son atmosphère accueillante. Parmi eux, Sigmund Freud, qui a séjourné dans l'hôtel en 1895, Marcel Proust et Thomas Mann, qui a écrit l'un de ses romans les plus célèbres, Mort à Venise, dans une chambre de cet hôtel. Le palais a également été choisi par le peintre Jacopo De Barbari comme objet de représentation dans l'une de ses gravures du seizième siècle.
Des grands noms du passé, mais aussi de nombreux objets, des valises anciennes aux éventails de toutes les époques, en passant par les vêtements, les tire-bouchons et les vieilles serrures, l'Hôtel Metropole, qui appartient désormais à la famille d'hôteliers Beggiato, possède une collection d'antiquités diverses qui attire de nombreux passionnés et curieux.
"L'une des plus belles histoires liées au Metropole de Venise est qu'il faisait autrefois partie de l'Istituto della Pietà, dont il conserve encore d'importantes traces", révèle Spada. "Sur un côté de l'hôtel, en effet, on trouve encore la porte dite "des Innocents", qui était utilisée par les parents qui abandonnaient anonymement leurs enfants en les déposant à l'intérieur. Puis, lorsqu'une cloche sonnait, ils avaient tout le temps de partir anonymement. De plus, les données historiques indiquent que la chapelle dans laquelle Vivaldi enseignait aux putte da coro au début du dix-huitième siècle était autrefois installée dans ce qui est aujourd'hui le bar de l'hôtel".
En poursuivant notre promenade le long de la riva degli Schiavoni, auprès de San Zaccaria, nous découvrons d'autres récits de voyage et des trésors cachés. Il suffit de tourner notre regard vers un palais blanc, juste en face du monument dédié au roi italien Victor-Emmanuel II, et de nous approcher de son entrée pour trouver d'autres traces de voyageurs importants. Nous sommes à l'Hôtel Londra Palace, une structure du dix-neuvième siècle qui portait à l'origine le nom d'Hôtel d'Angleterre et qui porte encore la trace du passage de noms illustres.
"À l'entrée de l'hôtel, il y a deux statues de lions très intéressantes", commente Alessandro Spada, "l'une représente le lion de Saint-Marc et est dédiée à Venise, et l'autre est le lion d'Angleterre avec une dédicace spéciale au pays qui dans le passé a donné son nom à l'hôtel. Les deux lions sont également représentés à l'intérieur de l'hôtel, en mosaïque, à l'entrée du restaurant. En outre, c'est dans le hall de cet hôtel que Tchaïkovski a composé sa quatrième symphonie, initialement intitulée Deux Lions en l'honneur des statues qui l'ont inspiré. Aujourd'hui encore, vous pouvez lire une partie de cette symphonie sur un mur du hall d'entrée de l'hôtel".
En plus d'avoir accueilli des personnages illustres tels que le compositeur russe, Borges et Jules Verne, le Londra Palace était également un hôtel important pendant la période de l'unification italienne. Par exemple, l’écrivain italien Gabriele D'Annunzio y a séjourné peu après l'annexion de Venise au royaume d'Italie en 1867, en occasion de la veille de l'inauguration de la statue dédiée au roi Victor-Emmanuel II, qui se dresse toujours dans la riva. Ce lien avec une période importante de l'histoire italienne se retrouve également sur la façade de l'hôtel, où un petit blason des Savoie est toujours présent.
Un peu plus loin, toujours sur la riva degli Schiavoni, nous pouvons nous replonger dans le passé de Venise en entrant dans l'historique hôtel Danieli, autrefois appelé Palazzo Dandolo. Ce bâtiment possède encore des éléments datant du quatorzième siècle, comme l'imposant escalier qui vous accueille dans le hall de l'hôtel : dans le passé, en réalité il se trouvait à l'extérieur et constituait l'entrée de l’étage habité par les nobles.
En poursuivant notre promenade vers le campo Santa Maria Formosa, nous arrivons à la dernière étape de notre voyage dans les hôtels historiques de Venise : l'Hôtel Ruzzini, un lieu qui continue à préserver des trésors cachés et à transmettre, avec respect, l'histoire du palais qui l'a longtemps abrité. Sa façade évoque toute la grandeur de son histoire et nous rappelle, à travers sa double porte d'entrée, une légende ancienne et méconnue.
"Certains l’ignorent, mais on raconte que, dans le dix-septième et dix-huitième siècle, les familles aristocratiques vénitiennes utilisaient deux portes d'entrée pour une raison bien précise", souligne Alessandro Spada, "La raison était qu'une porte était dédiée à l'entrée et à la sortie des vivants et l'autre uniquement à la sortie des morts ".
Et ce n'est pas tout, car une autre curiosité liée à cet hôtel, historiquement confirmée, est qu'au-dessus des deux portes d'entrée, sur les deux marcapiani, il y a des inscriptions, une sorte de graffiti avec des fils à plomb qui correspondent aux instructions de montage de la structure laissées par Bartolomeo Manopola au dix-septième siècle lorsqu'il a construit la façade baroque de l'édifice.
Mais avant d’être connu comme Hôtel Ruzzini, le bâtiment était nommé Palazzo Loredan Ruzzini Priuli : realisé entre la fin du seizième et le début du dix-septième siècle, il prenait son nom de Carlo Ruzzini, 113ème doge de Venise en 1732. La façade principale de l'hôtel, ainsi que l'ancienne entrée, est sur le rio où se trouve encore la porta d’acqua datant de la fin du seizième siècle. À l'intérieur du palais, il y a plusieurs suites qui reproduisent fidèlement l'aspect du palais d'origine, grâce aussi à une restauration effectuée au début de ce siècle ; mais l'aspect le plus suggestif de ce lieu est peut-être caché dans une pièce, une suite royale qui, sur son plafond, a imprimé un moment crucial de l'histoire de l'art vénitien. En effet, c’est ici qu’on peut admirer une fresque, représentant le mythe de Zéphyr et Flora, peinte par Gregorio Lazzarini au début du dix-huitième siècle. Il semble toutefois que Lazzarini n'ait pas été le seul à mettre la main à la création de cette fresque. À vrai dire, le peintre vénitien aurait été aidé dans la création de l'œuvre par nul autre que l’enfant Tiepolo.
"Lazzarini était le maître de Tiepolo, qui avait environ sept ans lorsque l'atelier a commencé à travailler sur la fresque de Zéphyr et Flora. C'était l'âge où l'on commençait à travailler en atelier, et c'est ainsi qu'à l'Hôtel Ruzzini, on peut dormir sous un plafond peint à fresque, dans certaines de ses parties, par un Tiepolo très jeune mais déjà talentueux, dont nous pouvons voir la toute première œuvre d'une longue carrière artistique".
Ce voyage sur les traces des anciens voyageurs vénitiens nous a conduits à différentes époques historiques et nous a fait visiter de lieux qui, dans un passé lointain, ont permis à ceux qui n'étaient alors que des jeunes voyageurs en quête d'eux-mêmes de devenir de grands artistes, musiciens et écrivains, inspirés par ces merveilleux palais vénitiens qui, aujourd'hui encore, continuent de parler d'eux.