La tradition de Noël à Venise, quand le doge quittait le Palais des Doges pour se rendre à San Giorgio Maggiore

27 December 2021

Venise, 21 décembre 2021 - La veille de Noël était la seule nuit où le doge était vu publiquement en dehors du Palais des Doges. Il s’agissait de sa visite annuelle à l'ancienne île de San Giorgio Maggiore, où il se rendait après avoir assisté aux offices sacrés dans la basilique Saint-Marc : à la fin de la messe, il sortait dans la place, accompagné d'un riche cortège qui l'escortait jusqu'au Molo, dans une promenade illuminée par des torches et des candélabres, où l'attendaient les peatoni dorés, des bateaux traditionnels vénitiens. Le départ vers l'île de San Giorgio Maggiore se faisait au son des cloches de Saint-Marc et aux notes des trompettes d'argent du doge; le pèlerinage de Noël terminait devant la porte principale de l'église, où il était reçu par l'abbé et les moines du monastère de San Giorgio. Ici aussi le doge assistait à un service religieux, mais de courte durée, après quoi il se déplaçait dans une somptueuse salle du couvent où l'on servit un petit rafraîchissement de sucreries confectionnées par les moines : ce sont les zorzini (de San Zorzi, c’est-à-dire Saint Georges), "una maravegia golosa" (en français : "une merveille gourmande") comme les définissait Gasparre Gozzi, qui participait au cortège du doge Pietro Grimani. Le retour au Palais des Doges se faisait avec la même pompe et la même splendeur des flambeaux, tandis que le peuple - rassemblé dans les barques sur le Molo - criait la devise "Viva San Marco" et que les cloches sonnaient.
Mais à Venise, "Noël" est aussi synonyme d'une autre chose. Comme le raconte l'écrivain vénitien Alberto Toso Fei, c’était à Noël que plusieurs événements s’interrompaient : c’est le cas, par exemple, du long Carnaval vénitien, qui s'étendait d'octobre au mercredi des Cendres, ou de la "guerre des poings", qui commençait en septembre et opposait les deux factions les plus anciennes et les plus importantes de la ville, les Nicolotti et les Castellani. Il s’agissait des combats qui se déroulaient traditionnellement sur certains ponts de la ville ; ils ont été définitivement abolis au dix-huitième siècle quand, après une lutte commencée à mains nues, se soit terminée par un combat au couteau, faisant de nombreuses victimes.
Il y a aussi des légendes liées au Noël, comme celle de Giuliana di Collalto, fondatrice en 1222 du monastère Santi Biagio e Cataldo (qui se trouvait à la Giudecca, exactement à l'endroit où se trouve aujourd'hui le Molino Stucky). C’était la veille de Noël, alors qu'elle était abbesse du monastère, et un furieux coup de vent avait empêché le prêtre de venir au monastère pour célébrer la messe. Giuliana donc s’est mise à prier pour que, comme consolation, un ange descendait au milieu du chœur de l’église, tenant l'Enfant Jésus dans ses mains : en effet, un ange a apparu. Après avoir annoncé la naissance aux sœurs, il l'a placé dans les bras de "l'extatique Giuliana, qui a pu pendant quelque temps donner libre cours aux affections de son cœur avec le divin enfant". Selon une autre légende, la veille de Noël on peut trouver, au sommet du Ponte del Diavolo à Torcello, un chat noir tracer des cercles : l’animal serait la représentation du diable, qui revient chaque année pour attendre les âmes de sept enfants non baptisés qu'une sorcière doit lui apporter en échange du service rendu il y a un siècle et demi, lorsqu'il a réuni une jeune fille vénitienne avec son officier autrichien bien-aimé qui avait été tué par sa famille.