Venise, 22 juillet 2021 - Un plafond décoré qui rivalise avec le Palais des Doges, un Christ qui garde le lieu depuis des siècles et en tournant à 180 degrés autour de lui on peut assister à sa mort, une incomparable collection de livres et d'instruments médicaux qui racontent l'histoire de la médecine dans le monde. Cela, et bien plus encore, vous attend dans le Musée de la Scuola Grande di San Marco de Venise, qui raconte l’histoire et les anecdotes d'une Venise qui, avec ses 1600 ans, regarde fière non seulement son passé mais aussi son avenir. Le musée est situé dans certains des espaces qui ont été transformés en hôpital civil il y a un siècle. De la Scuola dei Battuti à la Scuola Grande di San Marco, en passant par la chute de la Sérénissime, les fusions, la transformation en hôpital militaire et civil : nombreux sont les événements que le splendide bâtiment préserve depuis des siècles. Mario Po', directeur du musée, nous en parle.
Dans ce lieu, le protagoniste est Saint Marc, mais qu’est qu’il représente pour les Vénitiens ?
"Pour comprendre qui est Saint Marc, il faut regarder le tableau de Domenico Tintoretto montrant l'arrivée de son corps à Venise le 31 janvier 828. Dans ce tableau, le Saint est reçu en grande pompe par le Doge, c'est-à-dire le représentant du pouvoir politique. En realité, c’est Saint Marc le chef de l'État, et donc à son arrivée il est accueilli par le doge, qui est seulement son représentant. Il s'agit d'une affirmation très forte mais qui permet de comprendre pourquoi la figure du Saint a pénétré si profondément dans l'ADN vénitien et est si présente, si reconnue, si référentielle. Saint Marc est le saint patron de Venise, mais nous ne devons pas oublier que Venise en avait déjà un : Todaro, un saint d’origine orientale, byzantine. Saint Marc n'est pas un ajout, c'est une figure qui combine un profil religieux et une protection divine : sa présence témoigne vigoureusement le rôle que la République voulait assumer en Méditerranée".
Qu’y a-t-il dans la sala Capitolare ?
"Cette salle a été construite comme Salle du Chapitre Générale de la Congrégation de la Scuola Grande di San Marco. Le Chapitre Générale est ce que nous appellerions aujourd'hui une assemblée de six cents hommes, des confrères, qui se réunissaient ici et représentaient leur volonté auprès des instances supérieures : la Zonta et le Guardian Grande. Avec son propre faste et magnificence, cette salle veut communiquer quelque chose d'important à l'État, à la République, au Gouvernement. Le plafond doré, qui a été sans aucun doute un énorme investissement économique, devait dire : "Nous sommes en concurrence avec la splendeur du Palais des Doges, avec les appartements privés des Doges, parce que nous sommes un "État dans l'État". Ici, on exerçait une fonction d'intérêt public, même si elle était administrée par une entité privée comme la Scuola Grande di San Marco. Ça c'était le but et l'utilité de l’endroit. Ayant Napoléon violemment réprimé l'organisation, cet environnement est devenu le site d'un service hospitalier. Notamment, pendant des raids austro-hongrois de la Première Guerre mondiale, le 14 août 1917 une bombe a été larguée à côté du bâtiment, qui a causé son écroulement partiel, des morts et des blessés. Immédiatement après, on a décidé que ce lieu ne pouvait plus être utilisé comme hôpital et on a mis la bibliothèque à sa place, pour finalement devenir ce qu'elle est aujourd'hui : le Musée d'histoire de la médecine de la Scuola Grande di San Marco".
En quoi consiste le Musée de la médecine ?
"Nous possédons un recueil d'histoire de la médecine très rare et précieux, composé d'environ 20 000 volumes qui racontent l'évolution de l'histoire de la médecine telle que nous la concevons en Occident, d'Hippocrate aux Lumières, en passant par les Arabes, les Byzantins et nos médecins vénitiens, incluant Niccolò Massa et Giovanni Della Croce. En second lieu, nous avons une collection d’instruments médico-chirurgicaux qui très souvent ont été commissionnés par des structures des soins vénitiens à des ateliers vénitiens : ces instruments montrent comment les gens étaient soignés entre le dix-huitième et le dix-neuvième siècle, à travers les premières seringues, les instruments chirurgicaux avant l'anesthésie, les instruments médicaux avant les antibiotiques et les corticoïdes. Ensuite, nous avons peut-être l'une des archives les plus importantes d'Europe, c’est-à-dire les archives de la santé, dont le document le plus ancien remonte à 1094 : il s'agit d'archives qui racontent l'histoire des institutions de santé vénitiennes. Mais nous avons aussi la pharmacie napoléonienne de l'hôpital, qui a commencé comme une bibliothèque ouverte au public et qui est encore intacte aujourd'hui en termes de mobilier et de vases et leur contenu ; en outre, il y a un important musée d'anatomie pathologique, qui a commencé en 1874 avec les premières expositions, que nous conservons encore, et qui est devenu un musée de paléopathologie. Puis, l'église de San Lazzaro dei Mendicanti avec de nombreuses œuvres d'art et la présence des putte da coro. Finalement, il y a la partie dominicaine, que nous gardons avec jalousie, car à l'intérieur se trouve peut-être l'un des lieux les plus importants pour la préservation de la culture occidentale : la bibliothèque de San Domenico, le lieu dont le cardinal Bessarione, patriarche de Constantinople, avait décidé qu'il devait contenir les trésors après la chute de la capitale de l’empire byzantin".
Une statue de Christ en bois domine la salle.
"C’est un Christ qui, au cours des siècles, a été le gardien de ces lieux, et il est le Christ de la Congrégation. Comme en témoigne une photo de la période des bombardements, malgré les peintures étaient enlevées, le crucifix est resté sur l'autel. Si on le regarde de plus près, la main droite est encore marquée par cet événement. La statue a été conçue pour être regardée d'en bas à 180 degrés : si on observe, on peut noter qu’au début les yeux de Jésus sont ouverts, et puis qu'ils se ferment progressivement ; à la fin de ce tour, le Christ est mort, la tête reposant sur la droite".
Les Scuole Grandi ont été fondamentals pour le développement de Venise. Pourquoi la Scuola di San Marco, qui était à l'origine la Scuola dei Battuti, a-t-elle été créé ?
"Il y a deux raisons à l'origine de ces institutions : la première est qu’avec le mouvement des flagellants en 1260, qui a touché de nombreuses villes italiennes et aussi Venise, on a redécouvert les souffrances de Jésus et, avec l'exercice de l'auto-flagellation, l'école des Battuti est née. Mais il y a une autre raison : à Constantinople, les vénitiens ont tout observé et, en occupant le palais impérial, ils se sont aperçus que, pendant des siècles, une partie des biens impériaux a été donnée à une institution charitable pour exercer la charité. Les écoles de la lagune avaient leur propre originalité, différente de celles du continent, car elles étaient autonomes par rapport à l'État et à l'Église et étaient responsables de ce qu'on appelait caritas, c’est-à-dire le soin des besogneux. C'est une chose très importante car c'est le fondement de la subsidiarité, qui a donc été inventée à Venise en raison de son influence byzantine.
Et donc, une autre chose dont Venise était "moderne".
"Venise a exercé un leadership aussi en matière de médecine, ou de bien-être comme dirions-nous aujourd'hui, car elle disposait d'un ministère de la santé. Quels autres États européens avaient pensé à s'occuper de la santé de leurs citoyens à travers un organisme public ? Venise l'a fait. Sa contribution dans le domaine clinique est également originale. Certaines solutions dont nous pensons qu'ont une autre origine proviennent en fait de Venise. Par exemple, dans le domaine de l'anatomie, Venise a compris qu'elle pouvait faire beaucoup, même en faisant appel à des antagonistes de l'extérieur : Vesalio, originaire des Flandres, opérait à Venise avec d'autres médecins vénitiens comme l'anatomiste Niccolò Massa ou Giovanni della Croce, un chirurgien très important. Mais l'implantologie orale et osseuse est également née à Venise grâce aux études et à l'intuition d'un grand stomatologue, Umberto Saraval, un médecin juif persécuté qui a passé un an caché dans un placard et a rédigé un manuel de stomatologie qui fait encore aujourd'hui référence".